Messieurs, les anglais , tirez les premiers.
et non
Messieurs les anglais, tirez les premiers.
« Messieurs des gardes françaises, tirez. »
« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »
Voici en quels termes Voltaire raconte, dans son Précis du règne de Louis XV, l'épisode de la bataille de Fontenoy (11 mai 1745), dans lequel ce mot fameux aurait été prononcé :
(L'action se passait entre le village de Fontenoy et le bois de Barry, à sept kilomètres de Tournay, que les Français assiégeaient. Une forte colonne d'infanterie anglaise et hanovrienne, s'étant engagée dans cet espace d'environ un kilomètre, se trouva, après avoir traversé un ravin, en face de la ligne des gardes françaises.)
« Les officiers anglais saluèrent les Français, en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanne, le duc de Biron, qui s'étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises leur rendirent le salut. Milord Charles Ilay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes françaises, tirez. »
» Le comte d'Anteroche, alors lieutenant des grenadiers, et depuis capitaine, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes. Les Anglais firent un feu roulant... »
(Édit. de Genève, 1769, in-12, p. 170.)
Dans son étude très détaillée sur Fontenoy, publiée dans la Revue des Deux Mondes du 15 juin 1887, M. le duc de Broglie reconnaît qu'il commença par mettre en doute l'authenticité du mot. « Je n'ai changé d'avis, ajoute-t-il, qu'en trouvant dans les Rêveries du maréchal de Saxe un paragraphe entier consacré à établir « qu'une troupe ne doit jamais se presser de faire feu la première ». (P. 745.)
Dans l'ouvrage qu'il intitule Mes Rêveries (Amsterdam, 1757), le maréchal de Saxe (1696-1750) a effectivement développé les raisons qui plaident en faveur de cette théorie (t. I,p. 37), et condamne ce qu'il appelle « l'abus de la tirerie ».
Il est bon de remarquer qu'il écrivait ceci en 1732, et, que, dans un Mémoire de mars 1750, il exprimait une opinion diamétralement opposée.
« L'usage est établi, disait-il, dans les troupes françaises, de supporter le feu de l'ennemi dans une attaque ou une bataille...
» Je supplie très humblement qu'il me soit permis de dires naïvement ce que je pense, sur le faux que je trouve dans cet usage. »
(Lettres et Mémoires, Paris,1794, t. v, p. 299.)
Quel qu'ait été l'avis du maréchal lors de la bataille de Fontenoy, pendant laquelle il exerçait le haut commandement, l'habitude qu'il signale dans l'armée française pourrait expliquer le mot du comte d'Anteroche, en lui enlevant, il est vrai, un peu de sa grâce chevaleresque. Elle ne constitue toutefois qu'une bien faible présomption en faveur de son authenticité.
Pour nous éclairer sur ce point, nous avons consulté un certain nombre de témoignages contemporains.
Nous devons d'abord constater que, dans les nombreuses relations de la bataille de Fontenoy, recueillies au tome Ier des Lettres et Mémoires cités plus haut (p. 165 à 236), il n'est fait mention d'aucun échange de politesses entre les deux officiers.
Le passage suivant des Mémoires militaires du duc de Croÿ-Solre, qui prit part à la campagne de Bohème et de Bavière, tendrait à nous faire croire que le mot ne fut point prononcé :
« Les Anglois et les Hanovriens, soutenus de leur cavalerie sur plusieurs points, qui ne put jamais se développer, le terrain étant trop étroit, s'avancèrent avec un ordre et une contenance admirables devant la brigade des gardes qui, les voyant à portée, s'avance pour les charger, mais, ayant fait leur décharge avec assez peu d'ordre, les ennemis leur en firent une si furieuse, laquelle fut suivie d'un feu si bien nourri, que les gardes françoises lâchèrent tous le pied, et s'enfuirent... »
Rendant compte ensuite de ses impressions personnelles, il dit encore :
« Je vis la grosse ligne des Anglois s'avancer majestueusement, dans le milieu de la plaine, entre Fontenoy et la redoute droite, sur la brigade des gardes... Alors je vis les gardes françoises marcher seuls en avant à grands pas, faire d'abord leur décharge, et, tout de suite, en essuyer une terrible bien plus fournie et plus en ordre que la leur... »
(Nouvelle revue rétrospective, année 1894,p. 14 et 28.)
Donc, d'après ce témoin, ce sont les gardes françaises qui auraient ouvert le feu.
Le marquis de Valfons, lieutenant général des années du roi (1710-1786), qui assista de près au combat, et eut son cheval tué par les premiers coups de feu des Anglais, rapporte à peu près comme Voltaire le court dialogue qui s'engagea entre lord Charles Hay et le comte « d'Auteroche ». (Souvenirs, publiés par son petit.-neveu, 1760, p. 143.)
En présence de ces documents contradictoires, il serait difficile de se former une opinion, si l'on n'était en possession du témoignage, autrement important, d'un des acteurs de cette scène : lord Charles Hay.
L'article que lui a consacré M. James Rowley, dans le Dictionnaire de biographie nationale (anglaise), nous fournit cette autre version :
« D'après le récit qu'il adressa lui-même par lettre à son frère trois semaines après, ses hommes s'approchèrent du l'ennemi à une distance de vingt ou trente pas. A ce moment, il s'avança sur le front du régiment, but à la santé des Français, les plaisanta avec plus d'esprit que d'aigreur sur leur défaite à Dettingen, après quoi il se retira et fit pousser un hourra (huzzah) à ses hommes. » (Tome XXV, p. 253.)
Cette boutade de l'ollicier anglais a dû servir de base à la légende dont Voltaire s'est fait l'écho.
M'.. Alexis de Valon, dans un article de la Revue des Deux Mondes du 1er février 1851 (La Corrèze et Roc-Amadour), rapporte que, visitant un bourg de la Corrèze, nommé les Puy-d'Arnac, il eut pour hôtesse une petite-fille du comte d'Anteroche, vivant dans une extrême misère. Le souvenir du mot qui a transmis ce nom à la postérité lui inspire ces réflexions (p. 4.27-428):
« Ce mot est, je pense, le plus charmant, le mieux frappé à l'image de son siècle, dont il soit fait mention dans l'histoire. N'est-ce pas le mot de cette noblesse insouciante et adorable, ironique et blasée, qui poussa jusqu'à la folie le mépris de la vie et le culte de la courtoisie jusqu'au sublime. »
II se déclare d'ailleurs fort sceptique à l'endroit de ces mots « historiques », qu'on ne dit guère sur les champs de bataille.
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